Le colloque CIA 4, organisé les 26 et 27 septembre 2024 dans le cadre du projet ANR SAPS FabLab More, a rassemblé chercheurs et acteurs des fablabs ainsi que d’autres tiers-lieux. L’événement a mis l’accent sur les responsabilités environnementales et sociales liées à l’utilisation de ces espaces et technologies. Il a impliqué des communautés de pratique variées et des chercheurs en sciences humaines et sociales, ainsi que des acteurs du numérique et de la médiation scientifique.


Les fablabs sont des espaces qui se sont développés dans le cadre du mouvement des « makers ». Né au début des années 2000 aux États-Unis, il est porté par des personnes créatives qui conçoivent et fabriquent elles-mêmes des objets adaptés à leur quotidien : un informaticien qui assemble ses propres drones ou robots, ou un artiste qui réinvente l’usage des objets. Ces individus partagent une philosophie axée sur le « faire soi-même » et l’autonomie d’accès aux objets de consommation, sans passer par le mass-market.


Le mouvement maker repose sur le partage des connaissances et des outils nécessaires à la fabrication. Il prend vie dans des espaces collaboratifs tels que les makerspaces, fablabs ou hackerspaces. Les hackerspaces se spécialisent principalement dans les logiciels et la création de robots. Les fablabs, quant à eux, sont des ateliers de fabrication répondant à une charte définie par le MIT (Massachusetts Institute of Technology), où le concept a vu le jour en 2001. Ils mettent à disposition divers équipements numériques, comme des imprimantes 3D et des découpeuses laser, pour soutenir la création. Enfin, le makerspace, qui est aussi l’appellation générique de tous ces endroits, fait souvent référence à un espace plus vaste et polyvalent. Il peut aussi accueillir des artisans souhaitant fabriquer tout ou partie des objets qu’ils commercialisent.

« On ne fait pas les choses pour les gens, on n’est pas des prestataires, mais on les accompagne pour qu’ils résolvent leurs problèmes et en plus ils repartent avec la compétence pour les résoudre. »

Pour Pierre Grangé-Praderas, fablab manager au sein de Coh@bit (FabLab de l’université de Bordeaux), tout l’intérêt du makerspace est de permettre aux personnes d’acquérir gratuitement une autonomie lorsqu’elles fabriquent des objets en tout genre, plutôt que d’être dépendantes d’entreprises qui vendent des produits et des services marchands : « on fait pas les choses pour les gens, on n’est pas des prestataires, mais on les accompagne pour qu’ils résolvent leurs problèmes et en plus ils repartent avec la compétence pour les résoudre, c’est-à-dire par exemple la formation pour pouvoir faire de la CAO [conception assistée par ordinateur] et dessiner une pièce en cinq minutes pour pouvoir produire un truc. »


Le fablab permet une grande liberté dans la fabrication des biens, car on ne dépend pas d’une entreprise qui impose des normes et des contraintes à ses clients. D’après Pierre Grangé-Praderas, « un automate industriel, normalement, ça vaut très cher et on lui fait pas faire ce qu’on veut et [dans le fablab] ça coûte 20 balles et en plus je peux lui faire faire ce que je veux, je peux partager le code ».

« au lieu d’être noyé par une foule de possibilités que l’on te met sous le nez et bien tu repars d’un truc dont tu as besoin »

Les makerspaces sont donc des espaces permettant une grande variété de projets, imaginés à partir des besoins des personnes et non d’une volonté mercantile, ce qui change notre rapport au numérique : « au lieu d’être noyé par une foule de possibilités que l’on te met sous le nez et bien tu repars d’un truc dont tu as besoin, parce que vu que le code quand c’est toi qui le met en place ta capacité personnelle elle est limitée, ou même sur petit collectif elle est limitée, donc tu vas partir de choses dont tu as vraiment besoin […]. Paradoxalement pour moi l’informatique elle est bien réussie quand elle permet justement de faire moins d’informatique, c’est-à-dire de nous libérer du temps pour faire autre chose. Voilà, et la bascule elle va très très vite sur le moment où on devient en fait les employés de ceux qui nous les mettent à disposition ce qui est très différent, et là on passe dans quelque chose qui est aliénant pour moi les gens qui se retrouvent à faire de l’infini scroll toute la journée sur leur téléphone ne se rendent pas déjà forcément compte qu’ils sont en train de travailler pour les sociétés qui leur mettent ces systèmes informatiques à disposition. » Concevoir et produire ses propres objets informatiques permettrait ainsi d’éviter d’être entraîné dans les rouages de l’économie de l’attention.

Les makerspaces sont « une vraie vague qui vient d’une véritable aspiration de la société »

Les fablabs se caractérisent par ailleurs par une grande diversité d’organisation : « Ils sont tous différents, en fonction des gens qui s’en occupent. » Ils peuvent prendre la forme d’une association et adopter une charte éthique. Le FabLab Coh@bit est une structure qui fonctionne en auto-gestion, sans charte éthique. Les makers ne jouissent donc pas seulement d’une liberté de production mais aussi d’une liberté dans leur manière de s’organiser. « La seule chose sur lesquelles on essaye de les convaincre au maximum c’est qu’il faut que ça soit documenté. […] Voilà, contrairement à d’autres lieux qui étaient plus orientés sur la communication de ce qui est fait dans le lieu, on était plutôt sur la communication des expériences vraiment et au sens où si ça marche pas mais que c’est reproductible pour nous c’est génial. »


Quelle dynamique connaissent les fablabs ? D’après Pierre Grangé-Praderas, les makerspaces sont « une vraie vague qui vient d’une véritable aspiration de la société », car beaucoup de personnes cherchent à retrouver le contrôle sur ce qu’elles consomment. Ces espaces sont pour lui des zones d’autonomie qui ne sont pas complètement colonisées par le modèle mercantile et contrôlant, même si des tentatives de colonisation existent, notamment par les startups. « Il y a bien sûr des startups qui arrivent à faire de l’économique sans faire trop de contrôlant mais bon c’est comme les poissons volants, ça ne constitue pas la majorité du genre. La majorité du temps, ça consiste à faire une réussite économique pour moi, à capter plus de ressources que ce que nos petits bras peuvent faire. » Au contraire, les makerspaces sont un peu au minimum d’énergie. « La plupart du temps, on ne part que du besoin que l’on a et puis on fait avec ce qui est autour de nous. Donc c’est pas trop des systèmes surénergétiques, sur lesquels on va pouvoir venir taxer tous ceux qui ont besoin d’accéder à ça ou de participer à ça. Voilà il y a pas grand chose à y bouffer pour l’instant et donc c’est peut-être ça qui le protège un peu. » En définitive, les fablabs s’imposent comme des espaces d’innovation et d’émancipation, offrant à chacun la possibilité de créer, d’expérimenter et de partager librement ses connaissances, tout en proposant une alternative aux logiques marchandes traditionnelles.

Références :
Cailloce, L. (2018, avril 19). Des makers aux fablabs, la fabrique du changement. CNRS Le journal. Consulté 1 février 2025, à l’adresse https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-makers-aux-fablabs-la-fabrique-du-changement
CIA4 Fabuleux fabulistes : Du projet utopique aux projets pratiques—Sciencesconf.org. (s. d.). cia4.sciencesconf.org. Consulté 1 février 2025, à l’adresse https://cia4.sciencesconf.org/

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