L’introduction de l’IA dans le système scolaire

L’année 2024-2025 marque un changement certain dans les orientations éducatives françaises avec l’introduction progressive de l’intelligence artificielle dans le système scolaire. Portée par le ministère de l’Éducation nationale dans le cadre d’un plan d’expérimentation lancé en janvier 2024, cette initiative vise à intégrer des outils d’IA générative dans les pratiques pédagogiques, pour la gestion de l’hétérogénéité des élèves et des fonctions de pilotage des établissements. Cette innovation technologique, bien que prometteuse, suscite un débat intense au sein de la communauté éducative, oscillant entre enthousiasme pour les potentialités offertes et vigilance face aux enjeux éthiques et sociaux qu’elle soulève.

L’IA comme levier d’individualisation et d’efficacité pédagogique

Dans les discours institutionnels, l’IA est perçue comme un levier d’individualisation des apprentissages, permettant de mieux répondre aux besoins spécifiques des élèves car elle permet d’ajuster les contenus, les exercices et les modalités d’évaluation. L’idée d’un accompagnement personnalisé, où chaque élève progresserait à son rythme, est mise en avant comme une réponse à la massification de l’école et à la lutte contre les inégalités. La ministre Elisabeth Borne évoque à ce titre la capacité de transformer le rapport au savoir, de faciliter la remédiation et de renforcer la réussite scolaire. Certains chercheurs en sciences de l’éducation, tels qu’André Tricot soulignent d’ailleurs l’intérêt de ces outils pour développer chez les élèves des compétences métacognitives, encourager l’autorégulation des apprentissages et stimuler la motivation par une plus grande interactivité. L’IA pourrait également jouer un rôle de soutien pour les enseignants, en automatisant certaines tâches administratives ou en proposant des analyses fines des productions des élèves, permettant un diagnostic plus rapide des difficultés.

Les critiques d’une innovation

Cependant, cette orientation technologique reste criticable, tant du point de vue des professionnels de l’enseignement que des chercheurs en sciences humaines et sociales. De nombreuses voix s’élèvent pour rappeler que la technologie ne constitue pas une solution miracle. Derrière la rhétorique de l’innovation se cache parfois une méconnaissance des réalités du terrain, des logiques pédagogiques à l’œuvre et du rôle central de la relation humaine dans les apprentissages. Les syndicats enseignants et les associations professionnelles expriment leur inquiétude quant au risque de délégation du geste pédagogique à des algorithmes, réduisant la fonction enseignante à une supervision technique. À cela s’ajoutent des préoccupations liées à la souveraineté numérique et à la gestion des données personnelles des élèves. La CNIL elle-même a souligné l’insuffisance des garanties actuelles en matière de confidentialité et de transparence des algorithmes, notamment lorsque ceux-ci sont développés par des multinationales dont les intérêts commerciaux ne coïncident pas toujours avec les principes de service public. De surcroît, les biais algorithmiques potentiels sont susceptibles de renforcer des discriminations systémiques au lieu de les corriger, en s’appuyant sur des données historiques non contextualisées.

Vers une éthique de l’IA éducative

Face à ces enjeux, une réflexion éthique et épistémologique s’impose sur les finalités de l’école à l’heure du numérique. Il ne s’agit pas de rejeter en bloc l’apport de l’intelligence artificielle, mais de penser collectivement son intégration dans une logique éducative humaniste. Quelle éducation souhaitons-nous offrir aux générations futures ? Une école de la conformité, optimisée par la donnée, ou une école de l’émancipation, qui développe l’esprit critique, la créativité et le discernement face aux outils technologiques ? La formation des enseignants, la concertation avec les acteurs de terrain, ainsi que la place de l’éducation aux médias et à l’information dans les curriculums seront déterminants pour construire une culture de l’IA éclairée et démocratique. En définitive, l’irruption de l’intelligence artificielle à l’école n’est ni une fatalité technologique ni une révolution pédagogique en soi, elle constitue un moment de redéfinition des rapports entre savoir, pouvoir et technologie dans l’espace scolaire. Plus que jamais, il convient de replacer la réflexion sur l’humain, ses besoins, ses vulnérabilités et ses aspirations au cœur du projet éducatif.

Bibliographie

Amadieu, F., & Tricot, A. (2014). Apprendre avec le numérique : Mythes et réalités. Retz. Blais, M.-C., Gauchet, M., & Ottavi, D. (2014). Transmettre, apprendre. Stock.

CNIL. (2024). Recommandations sur l’usage des algorithmes dans l’éducation. https://www.cnil.fr

Lameul, G., & Loisy, C. (dir.). (2014). La pédagogie universitaire à l’ère du numérique : Questionnement et éclairage de la recherche. De Boeck.

Ministère de l’Éducation nationale. (2025). Intelligence artificielle au service de l’éducation. https://www.education.gouv.fr

Ministère de l’Éducation nationale. (2024). Plan d’expérimentation de l’IA générative dans les établissements scolaires.

Sénat français. (2024). Rapport sur l’intégration de l’intelligence artificielle dans le système éducatif. IH2EF. https://www.ih2ef.gouv.fr/ia-et-education-le-rapport-du-senat

Romero, M. (2022). L’apprentissage à l’ère de l’intelligence artificielle. Presses universitaires de France.

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